Campagne expérimentale pour l’étude du geste de l’accordeur de piano
Contexte : Le projet TEACH (Towards E-learning Academy for Cultural Heritage) s’intéresse à la numérisation du contenu de l’apprentissage des techniciens piano de l’ITEMM. Le but est de créer une plateforme mutualisée de connaissances et de ressources digitalisées utilisable par les formateurs piano et leurs apprenants, à distance. Les différents contenus porteront sur le réglage de la mécanique, l’acoustique et l’accord du piano, et sa fabrication.
L’ITEMM forme chaque année de nombreux techniciens à l’accord de pianos. Le geste d’accord étant complexe, la formation complète d’un accordeur piano s’étale sur 4 ans : 2 ans pour l’accord des pianos droits (niveau CAP), puis 2 ans pour l’accord des pianos à queue (niveau BMA).
D’après les enseignants et les professionnels, il existe différents profils d’accordeurs qui présentent des gestes variables. Nous allons donc quantifier ce geste avec des mesures de vitesse de rotation de la clé, et de durée d’accord, en proposant une méthode simple et accessible en atelier.
Problématique : L’enjeu principal de cette campagne expérimentale est de comprendre et d’analyser le geste du technicien lorsqu’il accorde son piano. Grâce aux mesures réalisées auprès des niveaux disponibles à l’ITEMM (CAP, BMA), nous pouvons également suivre l’évolution de ce geste tout au long de la formation des techniciens.
Méthode : Pour capter le geste, nous avons choisi de mesurer la vitesse angulaire (angle équivalent parcouru par unité de temps) de la clé d’accord utilisée par le technicien, tel que représenté sur la Figure 1.
Pour la mesure, nous utilisons les gyroscopes présents dans tous les smartphones. Cette mesure est enregistrée dans l’application Phyphox, disponible gratuitement : https://phyphox.org/.
Le smartphone est fixé sur une clé d’accord avec un dispositif de fixation pour téléphones (figure 2). Les résultats sont donnés suivant trois axes, représentés sur la figure 3.
Les mesures sont effectuées auprès d’au moins 5 apprenant.e.s par niveau et répétées sur 5 notes pour 3 tessitures différentes (du fa au la dans les basses, médiums, puis aigus), soit 15 mesures au total. Cela permet d’avoir un lot plus grand pour tester l’influence de la géométrie de la corde, la hauteur de la note sur le geste d’accord et prendre en compte les différences de résistance de la cheville.
Premiers résultats : Pour l’instant, les mesures ont été effectuées auprès des apprenant.e.s en BMA première année, BMA deuxième année et CAP première année de l’ITEMM. Les données sont traitées à l’aide d’un tableur et d’un programme sous Matlab pour en extraire les informations suivantes :
- La valeur moyenne de la vitesse angulaire filtrée (cela permet d’éviter les effets de chocs sur la clé)
- La durée de l’accord par note
- Le sens de rotation de la clé autour de la cheville
- La régularité dans le geste au fil des différents accords
Les résultats sont donnés dans le tableau 1. Des courbes sont montrées sur les figures 4 et 5.
Ainsi, on peut voir apparaître des points communs : la plupart des apprenant.e.s accordent en montant au dessus de la note pour redescendre petit à petit à la justesse (visible sur la figure 4 sur les graphiques grâce au sens de rotation de la clé). On peut observer des accords par « à-coups », qui consistent à faire de petits allers-retours au-dessus et en-dessous de la note pour arriver à la justesse ; ce qui peut rallonger la durée d’accord d’une corde, peut contribuer à une fatigue prématurée et une tenue moins bonne de l’accord.
La régularité dans le geste d’accord est propre à chaque accordeur.euse. Les accordeur.euse.s qui utilisent une technique par « à-coups » ont tendance à être moins régulier.e.s que les autres (voir figures 4 et 5) : la répétition d’un même motif de vitesse selon les notes accordées témoigne d’une plus grande régularité).
Enfin, nous constatons qu’il est possible de différencier un élève en CAP1 d’un élève en BMA à l’aide de deux principaux critères : la durée de l’accord et la vitesse angulaire de la clé que l’on peut associer à l’amplitude et à la rapidité de son mouvement. Ainsi, un BMA aura généralement un geste plus franc et une durée d’accord plus courte qu’un CAP1. Ce simple constat, tiré des mesures de geste, constitue un suivi scientifique pour l’efficacité de l’apprentissage des techniciens à l’ITEMM. Les résultats issus de cette expérience feront par ailleurs l’objet d’un article scientifique.
Auteurs : Alicia DESEILLE, Romain VIALA