Vers de nouvelles méthodes de mesure pour les luthiers ?

Entrer dans la matière et avoir accès à toutes les mesures possibles, dans toutes les directions, voilà qui est rendu possible par les tomodensitomètres.

Point sur la méthode :

Les tomodensitomètres sont des scanners géants bien connus dans le contexte médical. Avec une source de rayons X et un récepteur, ces équipements créent l’équivalent de centaines de radiographies d’un objet (un exemple est donné sur la figure 1).  Cette technologie est aussi utilisée dans l’étude “Programme de Numérisation et Valorisation du Patrimoine, PNV”.

Figure 1 : Quatre images radios brutes à différentes hauteurs utilisées pour la reconstruction. Instrument : flageolet français anonyme fin XVIIIe siècle

Les images sont ensuite traitées pour créer des coupes de l’objet étudié, ce qui donne des tomographies, du grec ancien τομός, tomós (« coupure »). Ces images reconstituées nous donnent une information précise sur la matière (les cernes d’accroissement du bois, la porosité et la densité du matériau), les  endommagements et les réparations subis, la géométrie, etc.

Sur la figure 2, on observe trois coupes suivant trois plans d’un flageolet (petite flûte à bec) anonyme français de la fin du XVIIIe siècle, fourni par Philippe BOLTON qui a participé à cette étude.

Figure 2 : Reconstitution tomographique, vue suivant trois plans au niveau du biseau et du bouchon de l’instrument. On voit aussi les cernes et le fil du bois dans les trois directions.


Toutes ces coupes permettent ensuite de recréer une version virtuelle de l’objet, comme l’objet 3D affichée figure 3. Il est alors possible de mesurer n’importe quelle côte à quelques microns en précision, y compris pour les endroits inaccessibles ou risquant d’endommager l’instrument.

De plus, ces modèles 3D peuvent être utilisés pour faire de la conception assistée par ordinateur, la fabrication d’alésoirs pour des copies, du prototypage virtuel ou pour être imprimées en 3D.

Figure 3 : Reconstitution 3D, format .stl du flageolet, après traitement.


Actuellement, pour un instrument de taille équivalente au flageolet, il faut compter environ 300 € pour des mesures complètes comprenant également la partie de traitement des données permettant de recréer l’objet en 3D. Après cela, un dossier contenant toutes les informations et données est accessible sur son ordinateur dans un atelier pour prendre toutes les cotes soi-même.

Pour un instrument plus grand, comme un violon ou une clarinette, le montant est de l’ordre de 400 €.

Retour d’expérience par Philippe BOLTON (facteur de flûtes à bec), sur l’utilisation de cette méthode sur un Flageolet ancien :

“Les instruments de musique ont beaucoup évolué avec le passage du temps. L’interprétation des musiques dites “anciennes” demande souvent l’utilisation d’instruments correspondant à leur époque afin de se rapprocher autant que possible des sonorités et des qualités expressives familières  aux oreilles de ceux qui les avaient composées.

Malheureusement, en particulier dans le domaine des vents, peu de ces instruments ont survécu en l’état, et la plupart de ceux qui ont résisté à l’usure des siècles sont devenus fragiles et ne sont plus aptes à remplir à nouveau leur fonction, d’où l’intérêt de pouvoir en faire des copies.

Cela passe le plus souvent par la prise de mesures d’un instrument original afin d’en fabriquer une réplique. Tout ne peut pas toujours être mesuré, pour différentes raisons liées soit à l’état de l’objet, soit à sa configuration, certaines parties étant plus ou moins cachées.

Le tomodensitomètre permet de surmonter ces problèmes. Dans le cas du flageolet cité dans cet article, il était impossible d’extraire son bouchon (la pièce qui constitue le plancher de son canal, la fente dans laquelle on souffle) sans risquer de l’endommager sérieusement. Lorsque cette pièce est en place, certaines mesures ne peuvent pas être prises, notamment la hauteur et l’orientation de ce canal, ainsi que sa position vis-à-vis du biseau autour duquel oscille la lame d’air pour produire le son.

S’il est toujours possible d’estimer ces mesures par tâtonnement  lors de la réalisation d’un prototype, l’obtention de mesures précises par ce moyen non destructif constitue une avancée considérable.”

Auteurs : Romain VIALA, Philippe BOLTON

Voici quelques exemples de mesures prises sur le flageolet en question grâce au tomodensitomètre :

Figure 5 : gauche : hauteur du canal par rapport à la perce, droite : la hauteur du bouchon
Figure 5bis : gauche : hauteur du biseau, droite : épaisseur du canal à sa sortie
Figure 6 : La profondeur du chanfrein supérieur, à la sortie du canal (assez inaccessible)
Figure 6 : La profondeur du chanfrein supérieur, à la sortie du canal (assez inaccessible)
Figure 7 : le diamètre intérieur d’un trou légèrement “soucoupé” ou évasé vers l’intérieur (également inaccessible).

Le pôle recherche et innovation remercie Gaël BOURBOUZE, du Centre de Ressources Technologiques, CRT de Morlaix qui a réalisé cette étude pour le pôle Recherche et Innovation et Philippe BOLTON.


Partenaires : Gaël BOURBOUZE, CRT Morlaix ; Philippe BOLTON, facteur de flûtes à bec https://www.flute-a-bec.com/index.html

Partager cet article

Plus à découvrir